« Quelle jolie petite fille que nous avons là. Angelo, viens vite dire bonjour à ta petite sœur. » L’homme brun, nouveau papa, se pencha sur la petite fille qui venait de pousser son premier cri, moi, et déposa un baiser sur son front encore tout plissé. La maman la tenait contre elle, blottie contre sa poitrine, une lueur de joie dans le regard. On pouvait lire l’émotion sur son visage. Elle rêvait d’une petite fille et son rêve venait enfin d’être réalisé. " Elle est toute fripée, c'est moche." Les deux parents éclatèrent de rire en regardant leur petit garçon tout brun de déjà 3 ans se pencher sur sa petite soeur, une grimace perplexe sur le visage. " En plus, je suis sûre qu'elle jouera jamais au ballon avec moi. C'est nul les filles." Sa mère lui caressa doucement les cheveux en souriant gentiment. Elle savait qu'Angelo avait du mal à voir débarquer une autre enfant et perdre sa place de petit roi de la famille. " Mais si je suis sûre que des fois, elle jouera avec toi, tu verras." Un joli portrait de famille, ma famille. Deux enfants nés d'une histoire d'amour comme bien d'autres. Ma mère, française monégasque, mon père pur italien. Rencontrés tous deux lors d'un séjour à Rome, ils ont eu le coup de foudre et ne se sont plus jamais quittés. Mon père a rapidement trouvé un boulot à Monaco et ils sont partis s'installer là-bas peu après la naissance de mon frère. Et puis, me voilà. Une nouvelle page qui se tourne, une histoire qui commence.


" Dis, tu veux jouer avec moi ? " Hésitante, je me balançais d'un pied à l'autre, triturant mes mains en regardant le petit garçon brun qui jouait tout seul dans le bac à sable de la cour de récréation de mon école. Âgée de 3 ans alors, j'étais toute mignonne, et selon certains le portrait craché de ma mère : les mêmes cheveux bruns aux reflets miel qui se baladaient quand le soleil dansait dedans, les mêmes yeux malicieux et rieurs et surtout le même sourire qui illuminait nos visages. Il leva la tête vers moi et me dévisagea un instant avant de hausser les épaules. " Si tu veux." Je m'installais par terre à côté de lui et nous jouâmes tranquillement pendant quelques minutes, remplissant notre seau de sable, faisant quelques sculptures ratées en rigolant. " Au fait, moi c'est Olivia. Et toi tu t'appelles comment ? " Je mâchouillais doucement ma tresse en le regardant timidement. Il me sourit avant de répondre : " Moi, c'est Thyméo. Mais tout le monde m'appelle Thym." Je souris, je venais de me faire mon premier ami. Et ce n'était que mon premier jour d'école, j'étais rassurée pour la suite. Je ne savais pas que cette amitié deviendrait bientôt mon tout, mon repère et bien plus encore.

" Ca fait combien de temps que c'est ton amoureux Thym ? " La blondinette me regardait curieuse et on pouvait lire dans ses yeux une petite lueur de jalousie. J'avais 8 ans à l'époque et oui, Thym était toujours mon amoureux. Il avait pas mal de succès, déjà à cet âge là, mais j'avais bien vite fait comprendre à toutes les filles qui voulaient jouer avec lui qu'il était à moi. Possessive oui, oui, je sais. " Depuis qu'on a 3 ans, et c'est pas prêt de s'arrêter." Je lui décrochais un petit sourire fier et la surprise s'afficha sur son visage tandis qu'elle laissait échapper un "whaou" de circonstances. " Vous allez peut-être vous marier. La chance." Je lui souris et haussais les épaules. Bien sûr qu'on se marierait. J'en étais sûre même si je n'avais que 8 ans. A l'âge où toutes les petites filles tombent amoureuses tous les deux jours d'un garçon différent, moi je n'avais que Thym à la bouche.


" Non, je le laisserais pas." Je me retournais vers mon père, lui décrochant un regard noir. " Tu n'as pas le droit de m'empêcher de le voir." Ce fut au tour de mon père de me lancer un regard noir, et mon frère l'imita tandis que je croisais fermement les bras sur ma poitrine. " Je suis ton père et tu n'as que 17 ans, tu es encore mineure. Si je refuse que tu le voie, tu ne le verras plus, c'est tout. Je tolérais ça tant que c'était ... une amourette de gamins. Maintenant, il faut penser à ton avenir. Et ton avenir, ce n'est pas lui." Je soupirais et secouais fermement la tête. " Mon avenir, ce sera moi qui le choisirais, que tu le veuilles ou non. Je l'aime, tu peux comprendre ça non ? Toi aussi, tu t'es marié avec une non-italienne, tu devrais pouvoir comprendre ce que je vis." Mon père poussa un grognement rageux et croisa les bras sur sa poitrine. On se ressemblait beaucoup au niveau du caractère : fort, impulsif, nerveux. " Ce n'est pas pareil pour les hommes et les femmes, c'est tout. Fin de la discussion. De toute façon, cet été on part en Italie, tu rencontreras peut-être quelqu'un qui te le chassera de l'esprit." Je laissais échapper un soupir et partit sans me retourner. * C'est ça, ouais, rêve toujours.*


Je me regardais dans le miroir une dernière fois, les yeux brillants d'émotion. Le bal de fin d'année. Celui que toutes les filles attendent. Bien entendu, j'y allais avec Thym même si le convaincre n'avait pas été de tout repos. J'espérais que me voir dans la robe longue d'un rouge chatoyant lui ferait oublier ses premières appréhensions. Je descendis et ouvris la porte. Il était dans sa voiture, n'attendant que moi. Thym était interdit de séjour et même si mon père était en voyages d'affaires, ma mère préférait éviter de le faire rentrer, ne sait-on jamais ... Je lui lançais donc un baiser avant de quitter la maison et me glissais dans la voiture à côté de mon copain, lui déposant un doux baiser sur les lèvres. " Merci." Merci d'être là, merci d'avoir pris le soin de mettre un costume, merci de venir, de m'accompagner. Il le savait, pas besoin de préciser.


Le bal était magnifique, les gens étaient tous habillés à la perfection, et c'était un défilé des robes plus belles les unes que les autres. Après une bonne heure, je me lassais de rester debout à boire des ponchs alors je m'installais sur les genoux de Thym, lui lançant un petit regard de chien abandonné pour qu'il m'emmène danser. Il ne résistait jamais à ce regard-là et je le savais bien. Peut-être qu'un jour, il finirait par en être immunisé mais pour l'instant, j'en profitais à fond. Il finit par céder - sans surprise - et nous nous dirigeâmes main dans la main sur la piste de danse. Il m'enlaça délicatement et je passais mes bras autour de son cou, noyant mon regard dans le sien. " T'imagine, un jour on sera peut-être marié et on sera comme maintenant, en train de danser, sans penser à rien d'autre. " Je lui lançais un petit sourire attendri, rêvant malgré moi à ce jour. " Un jour ? Et pourquoi pas maintenant ? " Et c'est ainsi que mon amour de toujours me demanda en mariage. D'une façon tout à fait spontanée mais tellement romantique. Et bien sûr, j'acceptais avec joie. J'allais devenir sa femme et rien ne me rendait plus heureuse.


"Mademoiselle Olivia Cassandra Lorenzi, voulez-vous prendre Monsieur Thyméo Keegan Campbell pour époux ? Jurez-vous de le chérir et de lui être fidèle pour le restant de vos jours ? " Un sourire épanoui se dessina sur mon visage et je plongeais mes yeux dans le regard noisettes de mon fiancé. " Oui, je le veux." Ca y est, nous l'avions fait. Il avait dit oui, j'avais dit oui. Le plus beau jour de ma vie, à l'exception que mes parents n'avaient daigné assister à ce mariage, même si je savais que ma mère mourrait d'envie de me voir en robe blanche. Je me sentis soudainement triste et impuissante, j'aurais tant aimé voir ma famille me regarder, me sourire, être heureux pour moi. Mais ce n'était pas le cas. En épousant Thym, j'avais choisi. C'est ce qu'avait décrété mon père. J'avais choisi entre lui et eux, et il ne voulait plus me voir. J'habitais donc déjà avec Thym même si j'aurais préféré attendre après le mariage. Malheureusement, tout ne se passe pas toujours comme on le veut. " Je t'aime Ollie." Thym déposa un baiser sur mon front, comme s'il sentait que soudainement je me sentais triste alors que je n'avais pas le droit. C'était le seul jour où je ne devais pas être triste. Je lui souris alors et serrais sa main dans la mienne. Tant qu'il serait là, tout irait bien, je le savais.


Quatre années de bonheur. Quatre années d'amour, de rires, d'union et de complicité. On l'avait fait. Je savais que lorsqu'on avait annoncé notre mariage à nos plus proches amis, ils nous voyaient déjà échouer au bout de quelques mois. Pour eux, on était trop jeune, on ne connaissait pas la vie. Je voulais croire que si, je voulais vraiment le croire. Mais peut-être me trompais-je ? Un coup de fil d'Italie me mit soudain le doute. " Ma petite Olive, papa va mal. Il a un cancer. On ne sait pas ... On ne sait pas ..." Les sanglots de ma mère se firent entendre dans le téléphone et je la pressais de continuer. " Il faut que tu viennes ma puce, s'il te plaît. Pour moi, pour notre famille. Tu es notre fille, tu dois être là, près de nous. Il ne lui reste sûrement que quelques mois, un an tout au plus. Tu dois être là." Près d'eux ? En Italie .. Peu après mon mariage, ma famille était repartie en Italie, en Sicile, région de naissance de mon père. Ses racines lui manquaient, ou peut-être bien que passer devant mon chez moi le rendait trop malheureux. Je ne sais pas. " Maman, je ne peux pas partir et laisser Thym .." Mais, je savais que je le devais. Malgré tout, c'était ma famille, c'était mon père. C'était ma dernière chance de me faire pardonner, de lui pardonner, de redevenir sa fille. Je savais qu'il fallait que je sois là pour qu'il meure en paix. " Je prends le premier vol ..." Je crus entendre un soupir de soulagement et ma mère me remercia avant de raccrocher. Je ne pouvais pas avouer à Thym que je partais retrouver ma famille. Leur relation s'était tellement dégradée à l'annonce du mariage. Il s'était battu avec mon frère, et failli tâter du poing aussi avec mon père lorsqu'un jour ces derniers avaient débarqué dans une dernière "tentative" de me séparer de lui. Pour lui, c'était réglé, je ne leur parlerais plus. S'il savait que je partais pour accompagner mon père en fin de vie. Je rédigeais donc rapidement une petite note, lui laissant ces quelques mots : " J'ai tellement à découvrir avant de m'engager sérieusement. Je reviendrais. Je t'aime. " et déposais dessus mon alliance avant de faire mes bagages en hâte et de prendre le premier bus vers l'Italie, le coeur déchirée. Je savais qu'il allait me détester mais je devais le faire ...


" Ma chérie, ne pars pas s'il te plaît. J'ai tellement besoin de toi." Ma mère était agrippée à ma main, toute de noir vêtue, comme moi. Mon frère se tenait derrière moi et avait posé sa main sur mon épaule. Nous enterrions mon père après bientôt deux ans à lutter contre la maladie. Ca avait été dur et j'avais vu ma mère perdre petit à petit sa force, son optimisme légendaire et sa superbe. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. J'aurais aimé rentré, retrouver mon mari mais je ne pouvais pas les abandonner maintenant. De toute façon, depuis le temps, Thym m'avait sûrement remplacée. Il devait avoir tiré une croix sur moi, arrêter d'espérer mon retour. Je soupirais doucement et hochais la tête. " Je resterais." J'avais ainsi sûrement fait le choix le plus dur de ma vie. J'avais déjà choisi Thym avant, je ne pouvais pas recommencer encore. Je devais préserver ma mère et c'était tout ce qui m'importait actuellement.


" Ollie chérie ? " Je me retournais et aperçus ma mère dans l'embrasure de la porte, douce et délicate comme à son habitude. " Oui maman ? " Elle pénétra dans ma chambre, un sourire aux lèvres et s'installa sur le lit tandis que je restais à mon siège préféré : le rebord de ma fenêtre, les yeux rivés à la mer, l'esprit ailleurs, le coeur ailleurs. " Il est temps que tu rentres ..." Je me retournais brusquement, le regard étonné. Je ne m'attendais pas ça. " Mais ... Mais, je ne peux pas te laisser seule." Elle baissa le regard un instant et secoua la tête doucement. " Chérie, j'ai été assez égoïste en te gardant près de moi aussi longtemps, je sais que tu n'es pas heureuse ici. Malgré tous les efforts que tu fais, tu n'y arrives pas, ton coeur est resté là-bas, et je m'en veux de t'avoir retenue à mes côtés aussi longtemps." Je me levais et allais m'installer à côté d'elle, déposant un baiser sur son front. " Dis pas ça Mamita. Je l'ai choisi, tu n'y es pour rien. Mais, je ne veux pas que tu me dises de rentrer si tu ne te sens pas capable de rester seule." Je lançais un regard plein d'espoir à ma mère, le coeur battant. Bien entendu, je rêvais qu'elle me dise que oui, ça y est, je pouvais rentrer. Quatre ans loin de Thym c'était quatre ans de perdus. " Ca ira ma puce. De toute façon, je pense retrouver rapidement la France. Maintenant que ton père n'est plus là, et que Angelo est retourné à Monaco, il ne me reste rien ici. Alors, tu peux partir tranquille." Je la serrais dans mes bras, ravie mais le ventre noué. Comment allait réagir Thym en me revoyant ? Durant ces deux dernières années, j'avais tenté de l'oublier, noyant parfois mon chagrin dans le bras d'italiens charmants et séducteurs mais rien n'y faisait. C'était lui. Pensait-il encore à moi ? M'aimait-il toujours ? Je devais le découvrir.


C'est ainsi que quelques jours après, je fis mes bagages et pris l'avion en direction de Monaco. Je devais le revoir. Je devais lui parler. Et surtout, je devais tout faire pour qu'il me pardonne.