Il me regarde de travers. Il me regarde toujours de cette manière. Il déteste ce que je suis, ce qu'il doit enduré chaque jour qui passe. Mes crises, mes sauts d'humeur, mes coups de blues, et j'en passe. Je suis malade, j'en suis conscient, mais il n'a pas l'air de le supporter. Pourtant je n'ai que onze ans, je suis jeune, pourquoi me déteste-t-il autant ? Il n'a jamais voulu rien partager avec moi. Comme jouer au foot, jouer aux jeux vidéos. Ces choses-là je les ai faites, mais seul. J'ai toujours été seul. Depuis le bac à sable, je le suis. Personne pour jouer avec moi, me tenir compagnie. Ma mère n'est qu'une femme de ménage et mon père un mécanicien, du coup on ne gagne pas beaucoup et nous avons quatre bouches à nourrir. Quatre si on rajoute ma petite soeur. Elle, elle est normale au moins. Ce qui signifie qu'elle se fout constamment de ma gueule, comme mes camarades en cours. J'en ai plus que marre d'être traité de la sorte, car hors mis quelques périodes sombres, je suis un petit garçon comme les autres. Ma maladie ne fait pas de moi un être totalement étrange et dénué de sentiments. Je suis aussi joueur, drôle (j'aime rire et faire des blagues absolument pas drôle), j'aime sourire, faire du skate, jouer de la guitare. Où vous voyez que je suis bizarre ? Certes je peux être introvertie, mais c'est uniquement à cause des autres. À force de se sentir rejeter c'est certain qu'arriver à un moment, on se rejette soit-même. Encore une fois je la cible de moqueries. « Où sont passés tes larmes de crocodile ? Le pleurnichard ! ». C'est encore assez enfantin, mais je suis face à des jeunes de mon âge. Et en parlant de mes larmes, ce petit enfoiré fait référence à l'autre jour où j'ai littéralement craqué en plein cours de sport. Dans une passe assez noire dût aux relations tendues avec mon paternel, je n'ai pas pu contenir mes larmes qui ont perlé sur mes joues devant toute ma classe. Ils m'ont ri au nez. Sauf qu'aujourd'hui, pas de larmes. À sa réflexion, j'ai les poings qui se serrent. La colère monte. Je n'ai qu'une envie, lui foutre mon poing dans sa figure. Mes actes rattrapent ma pensée et ni une, ni deux, mon poing rencontre son nez. Je me recule et je le vois effrayé en voyant mon visage. Un visage crispé, car remplit de haine. Il a peur, je le sens et ça me fait jubiler. Il se met alors à hurler en chialant comme une mauviette. « P'tain il m'a cassé le nez ! MAMAN ! ». Je dois dire que maintenant si les gens ne me respectent pas, je n'hésiterais pas à sortir les poings .

Elle est là, assise à mes côtés et me fixe d'un drôle d'air. Voilà maintenant deux semaines que nous bossons ensemble, en équipe, sur un fichu exposé. Je déteste les cours, je suis nul de toute façon et à la maison, j'ai personne pour m'aider. Mon père s'est cassé lorsque j'eus quatorze ans. Il en avait marre de moi, des tensions. Du coup depuis je vis avec ma mère et ma soeur, qui elles aussi ne m'aiment pas trop. Je le vois à leurs visages. Elles sont si discrètes. Pitoyable. Et les cours, si j'y vais c'est uniquement parce que c'est une obligation, sinon je me serais tiré depuis longtemps. Ma vie est si pourrie, bref ne commençons pas à s'apitoyer sur notre sort, je suis plutôt doué à ce jeu-là. Au début de cette collaboration, j'avoue que je n'étais pas enchanté. Je pensais que cette nana ne servait à rien. À faire la belle, je la croyais superficiel et pas intéressante. Sauf que je me suis leurré, je l'avoue. Plus nous avançons dans notre exposé, plus je découvre une nouvelle jeune femme. Elle est drôle, pétillante et gentille. (il faut dire que rare sont les gens qui sont gentils avec moi) Du coup j'apprécie de plus en plus sa compagnie. Même si j'ai peur qu'elle ne se foute de moi, qu'elle fasse ça par charité. À l'école on me fuit comme la peste, être vu en ma compagnie peut vous assurez une chute de votre popularité. Du coup j'ai quelques doutes. Mais j'espère que ceux-ci s'avéreront faux car je commence à vraiment l'apprécier. Ses cheveux sentent si bons, ses lèvres, pulpeuses, vous donnent l'envie de les embrasser fougueusement. Mordu ? Moi ? Juste un chouila. Mais avant de la rencontrer, je n'avais jamais perçu une fille de cette manière. J'ai donc tendance à être complet obsédé. Mon côté "zarbi" qui ressort. Sauf que lorsque je veux lui avouer mes sentiments à son égard, je perds les moyens et deviens limite méchant. Je l'envoie chier, clairement. Ce n'est pas la bonne technique, mais je ne connais pas la bonne. Je me contente donc de sourire et lui parler comme à n'importe qui d'autre. Mon regard fixé sur ses lèvres, elle me sort de mes pensées. « Tim, tu baves .. ». Chouette, quelle classe. Vous voyez ce que je vis au quotidien ? Un cauchemar. Vivement que ça cesse.

« Tes yeux sont ... » « Magnifiques ? Je le sais ! ». Sourire jusqu'aux oreilles, elle me dévoile une nouvelle fois sa parfaite dentition. Cette fille est juste ... parfaite. Jamais je ne pensais vivre une telle histoire avec une personne du sexe opposé. Après avoir subitement arrêté le lycée pour cause médicale (en réalité, une tentative de suicide), ma mère s'est servie de cette excuse pour me faire interner. Quelle salope. Jamais je ne lui pardonnerais et heureusement pour elle que je ne la vois plus. Au début c'était dur. C'est comme réapprendre à marcher, à vivre, à manger, à aimer. Pour le dernier point, j'avais tiré un trait dessus jusqu'à ce que je fasse sa rencontre. Elle est si jolie, si gentille, si drôle et un brin délurée. Je suis folle d'elle, je l'avoue. Encore une après-midi passé en sa compagnie et je suis aux anges. Elle me rend heureux et grâce à elle, plus aucun nuage sombres à l'horizon. Nous sommes tout deux allongés sur l'herbe. L'herbe du jardin du centre dans lequel on crèche. Fixant le magnifique ciel bleu, je lui tiens la main, caressant celle-ci de temps à autre. Soudain l'envie d'uriner me prend. « Je reviens, cinq minutes mon amour ! ». Je me lève et pénètre dans la grande salle commune. Sur mon chemin je bouscule un homme. Baraqué, l'air énervé, je m'excuse, mais il me demande tout de suite. « Vous connaissez une certaine Sadie ? C' te p ... ». Je le regarde interloqué puis lui réponds. « Oui, oui, elle était en ma compagnie. Elle est dehors, mais ... que lui voulez-vous ? » Ma voix est neutre mais mon regard sombre. « Cette pétasse m'a dépouillé. C'est une mythomane qui se fout de la gueule des gens. C'est d'ailleurs pour ça qu'elle est internée dans c't asile de fous. ». Je suis figé, choqué, étonné. Il parle bien de la même Sadie ? De MA Sadie ? Serait-ce une mauvaise blague ? Je ne comprends plus rien, je suis soudain perdu et déboussolé. Et si la personne dont je suis fou, n'est en fait pas celle que je crois ? Quelle pourriture.

Je suis seul, fauché, et mon unique ami est un vieux sac pourri (merci brownie pour la rime -sors-). J'ai quitté le centre l'année de mes dix-huit ans, j'ai ensuite retiré le peu d'économie que j'avais et je suis parti. Parti pour faire le tour de l'europe. À pied et avec peu d'affaire, j'ai voyagé à travers différents pays de l'occident, sauf que ma ville natale me manque. J'aurais besoin d'un pied-à-terre pour me poser et enfin me construire une vie stable. Sauf que mon road trip m'a coûté bonbon et je n'ai plus un rond (p'naise encore une rime). Voilà une journée que je suis de retour à Monte-Carlo et je suis tel un zombie rodant dans les rues. Ma première nuit sur le trottoir ne fut pas si difficile qu'elle n'y paraît, durant mon voyage j'ai eu l'habitude de dormir à la belle étoile. Même si il est plus confortable d'avoir un toit sur la tête. Je ne sais pas ce que je vais, ce qu'il va advenir du déchet que je suis, mais je ne veux pas moisir au fond d'une ruelle sombre. Je veux vivre.